Feel the Hollow - Patrice Joly
Patrice Joly, program of exhibition « Feel the Hollow ».
Musée des Beaux Arts, Nantes, 2007.

Michelle Naismith n’est pas née à Nantes comme tout le monde mais ce léger défaut dans son cv n’est pas rhédibitoire pour la rendre plus apte que n’importe quel habitant de la Cité des ducs à incarner un certain esprit que l’on croyait définitivement disparu depuis que la métropole de l’ouest se surprend à jouer à l’Eurocité. Qu’on en juge par ses productions Made in Nantes, il s’en dégage un esprit à la fois nonchalant et nostalgique, une douceur toute fluviale que dissimule à peine une propension certaine à la satyre gentille teinté de nonsense très british. Michelle Naismith est une fabuliste, elle élabore dans ses courtes vidéos aux scénarios syncopés et faussement à la traine de petits contes modernes qui dessinent les itinéraires incertains et tangents de ses personnages improbables et difficilement identifiables, avec en toile de fond une critique grinçante de la mondanité (entendu comme être au monde) : ses héros sont la plupart du temps des antihéros apathiques et souffreteux, navigant résolument hors des zones d’une normalité acceptable, comme suspendus dans les eaux de la non décision, hésitant entre les deux cotés du miroir. Comme si la réalité les décevaient, éternellement soumise aux impératifs d’une positivité triomphante et que la rêverie peinait à emporter l’intégralité de leurs acquiescements. Ses décors sont ceux d’un quotidien gangréné par la désillusion et le désir de fuite vers le merveilleux. Un peu comme si le grotesque d’un Gombrowics venait irradier la gravité d’un Dostoïevski.

De fait, l’ineffable mélancolie qui se dégage de ses films réfère à un sentiment d’inaboutissement insurmontable que parvient difficilement à tempérer l’usage thérapeutique d’une dérive toute sentimentale.
Les docteurs/gourous qui reviennent régulièrement dans ses films et autour desquels s’organise le récit sont des personnages à contre temps, sommés de résoudre les problèmes existenciels de leur patients/adorateurs mais se perdant dans les limbes d’une pratique loufoque où affleure le mysticisme et les traitements occultes : drôles de médecins qui se laissent aller à la contemplation d’un brillant démesuré jusqu’à ce que le contact de ce dernier ne les ramène à une réalité contendante : c’est que pour soigner le blues, il n’existe de remède infaillible et que la fréquentation de ces patients atteints de vague à l’âme est désespérement contagieuse.

Dans Feel the Hollow, on retrouve certains ingrédients récurrents qui composent le vocabulaire filmique de MN : le gourou/soignant plus dérangé que ses patients, la fugacité de la vie, la désillusion et la fuite vers des mondes meilleurs que surlignent des espèces d’insert tels le papillon en surimposition à la fin de I see the faces, la rose vers laquelle se retourne l’héroïne déchue de Feel the hollow : éléments de dérive scénaristique et psychologique comme si la réponse aux tourments de l’âme et à l’insondable gravité de l’être nous était donné par la contemplation suspensive de ces éléments extramondains. Cette fois-ci cependant, les indices de la dérive ne sont plus concentrés à l’intérieur du film, ils ont émigré vers l’autour du dispositif vidéastique et envahissent le hors champ. C’est que le baroquisme de Michelle Naismith ne se contente pas d’imprégner la pellicule, il agit comme une excroissance filmique plus ou moins controlée : le titre de l’opus devient une sculpture entourée de ses black eyed beans comme une allégorie de la destinée tronquée des protagonistes, dérisoire et inutile, tandis que les extraits du monologue se transforment en leur version dessinée, échos “recadrés” de cette fable hollywoodienne.